Un arrêt rendu le 21 juin 2021 par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation illustre parfaitement la difficulté d’indemnisation de la souffrance permanente d’une victime d’un accident du travail, mais s’inscrit en droit commun, accessoirement, en faveur d’une indemnisation complète de toutes les composantes du déficit fonctionnel permanent.
Il convient de rappeler qu’un accident du travail ou une maladie professionnelle, sont pris en charge selon un régime spécifique régit par le livre IV du code de la sécurité sociale. Une présentation vulgarisée de cette prise en charge est la suivante : la prise en charge est automatique mais forfaitaire.
Dès lors la victime d’un accident du travail peut obtenir une indemnisation complémentaire sous réserve de démontrer la faute inexcusable de son employeur ( article L 452-1 du code de la sécurité sociale).
La survenance d’une telle faute permet au salarié d’obtenir une majoration de sa rente accident du travail ( L 452-2 du code de la sécurité sociale) mais aussi des postes de préjudices spécifiques prévus par l’article L 452-3 du même code, à savoir :
Par ailleurs, le Conseil constitutionnel dans une décision n°2010-8 QPC du 18 juin 2010 a précisé qu’une victime pouvez être indemnisé de ses postes de préjudices sous réserve qu’il ne soit pas couvert pas le livre IV du code de la sécurité sociale.
Or la question de l’indemnisation des souffrances physiques et morales demeure source de questionnement notamment s’agissant de leurs articulations avec le déficit fonctionnel permanent, poste de préjudice comportant une composante incapacitaire, existentielle mais également algique. Effectivement les souffrances endurées permanentes sont indemnisées par le déficit fonctionnel permanent.
Cette indemnisation via le déficit fonctionnel permanent prend une dimension particulière en la matière puisque la Cour de cassation juge, à l’inverse du Conseil d’Etat et en contradiction avec la nature extrapatrimoniale de ce poste de préjudice, que ce dernier est nécessairement indemnisé par la rente majorée.
Dès lors, le déficit fonctionnel permanent étant prévu par le livre IV via la rente, les souffrances endurées permanentes ne semblent pas pouvoir faire l’objet d’une indemnisation spécifique.
Cette problématique était l’objet de l’arrêt précité. Employé en qualité de mineur de fond de 1961 à 1994, un salarié développe une silicose, prise en charge en 2010 par la caisse primaire comme une maladie professionnelle, laquelle dégénérera en cancer broncho pulmonaire en 2013.
La faute inexcusable de l’employeur étant retenue, la Cour d’appel de METZ, mobilisant l’article L 452-3 du code de la sécurité sociale, indemnise le salarié de 40.000,00 € s’agissant de ses souffrances morales et de 20.000 € s’agissant de ses souffrances physiques.
Un pourvoi étant formé par l’employeur, la Cour de cassation casse l’arrêt ainsi qu’il suit :
« En statuant ainsi, par des motifs impropres à démontrer en quoi les souffrances physiques et morales endurées par la victime étaient distinctes de celles réparées au titre du déficit fonctionnel permanent, la cour d’appel a violé les textes susvisés. ».
Cette cassation n’apparait pas surprenante mais porte néanmoins deux espoirs.
Tout d’abord, il n’est pas surprenant que les souffrances physiques et morales visées par l’article L 452-3 du code précité ne correspondent pas à la souffrances permanente.
Effectivement, ce poste de préjudice concerne, en application de la nomenclature DINTHILLAC, les souffrances endurées temporairement, soit avant la date de consolidation, ce qui permet justement de les distinguer du déficit fonctionnel permanent.
Cela a déjà été jugé (Cass.Civ 2.11.02.2019 n°15-10.066) et est rappelé par plusieurs juridictions du fonds ( Cour d’appel d’Amiens du 8 février 2021 n°19/01428).
A notre sens, l’indemnisation de la souffrance permanente ne passe pas par l’exploitation des souffrances visées par l’article L 452-3 du code de la sécurité sociale mais par la mobilisation d’un autre poste de préjudice non couvert par le livre IV.
Effectivement la Cour de cassation ne nie pas que la souffrance permanente peut avoir plusieurs visages, mais conditionne toute indemnisation à la démonstration d’une affliction différente de celle d’ores et déjà indemnisée par le déficit fonctionnel permanent.
Dès lors l’invocation d’un préjudice d’anxiété, non couvert par le livre IV et distinct du déficit fonctionnel permanent est possible
Consacré par la Cour de cassation pour indemniser la situation d’incertitude permanente de développement d’une maladie à laquelle été confrontés les salariés ayant été exposé à l’amiante (Cass. Soc., 11 mai 2010, n° 09-42.241), ce poste de préjudice a rapidement embrassé d’autres situation d’incertitudes notamment celle liées à la prescription de Distilbène (Cass Civ 2 ; 02.07.2015 n°14-19481) et peut être indemnisé indépendamment du déficit fonctionnel permanent et des souffrances endurées ( Cass.Civ1 ; 5.06.2019 n°18-16.236).
Enfin, il est possible aux victimes d’un accident ou d’une maladie professionnelle d’invoquer un préjudice d’anxiété distinct des souffrances endurées temporaires (prévues par l’article L 452-3 du code de la sécurité sociale) et de la souffrance permanente indemnisée par le déficit fonctionnel permanent via la rente accident du travail.
Surtout cet arrêt, s’agissant du droit commun, confirme l’autonomisation des souffrances endurées au sein du déficit fonctionnel permanent.
La construction jurisprudentielle autour de l’indemnisation du déficit fonctionnel permanent dans l’ensemble de ses trois composantes se consolide et le débat doit se poursuivre
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